Patience et longueur de temps fond plus que ...




Jean de la Fontaine peut-il influencer (positivement) le vol libre ? J'espère sincèrement que le compte rendu suivant contribuera à soutenir les morals défaillants ainsi qu'à baliser un itinéraire pour ceux qui le connaissent mal.

19 Juillet 1993 : pour la nième fois de cette fichue année 93, je pars tenter ma chance au Chat. Petit Nord-Ouest sur les Alpes. Objectif : comme d'habitude, aller le plus loin possible vers le Sud. Ceci dit, le moral n'est pas au beau fixe. D'une part, les plafonds sont à 1300/1400 m vers 13 heures, comme souvent cette année sur la façade Ouest des Préalpes. D'autre part, la galerie d'Hervé lâche, nous roulons à 50 km/h max. Maigrès perspectives, encore une journée "pourrave". Arrivés au sommet, nous sommes quasiment dans les nuages. Le temps de monter, ça se dégage juste mais ça n'a pas l'air féroce question conditions thermiques. Après une rapide concertation, nous décidons de partir sans attendre d'éventuelles améliorations. D'ailleurs, il est 14h45 et puis si on va au tas, au moins on rentrera plus tôt à la maison.

Dés le départ, ça sent mauvais. Rien, pas un seul frémissement Au lieu de me laisser m'enfoncer pour rien sous le décollage, je vire à gauche. Toujours rien au vario. A Chateau-Richard, j'ai 1000 m à l'alti et je me demande si je me pose sur les plateaux qui me lancent des œillades où si je vais me faire le péage de l'autoroute. Soudain, je sens une légère bouffe. Je remonte péniblement. La pompe est étroite, sans vraie cohérence, vicieuse pour tout dire. Hervé est encore plus bas, vers le lac. Il descendra à 800 m avant de se refaire péniblement dans un essaim de bulles chahutées sous le vent. Je me dis qu'avec un peu de chance on se posera après le lac. Ce pessimisme s'avère justifié quand on aborde le Mont Grelle. Ça sent à nouveau le roussi. Sur l'arête qui monte vers les lignes électriques, en général ça monte, là ça descend franchement. Je n'hésite plus, je me décale vers la plaine et j'encape la ceinture de nuages à l'avant des lignes et ça finit par monter au plafond lentement. Je me dis qu'avec un peu de chance, on ira mourir en finesse entre les Echelles et Saint-Laurent. Quelle mentalité de perdant. Mais la traversée des Echelles semble me donner raison.

Après le départ à 1500m sous le vent, la classique dégueulante du coin arrive sans pitié. Hervé et moi avons eu la sagesse de nous attendre mutuellement pour augmenter nos chances, mais nous nous acheminons tranquillement vers un tas inéluctable. Rien de rien, on n'atteindra même pas le bas de la falaise de la Ruchère. Ça descend à toute allure. Sur le petit plateau qui domine la plaine des Echelles, je vois une fumée au sol qui virevolte dans tous les sens. Je n'ai même pas le temps de trouver ça marrant. Je suis à 750m et je sais que c'est ma dernière chance. Je fonce vers la fumée. Hervé, qui me devance de 100m, se cabre fort et confirme que c'était le bon plan. Plus tard, il me dira qu'il n'avait pas vu la fumée. Quel veinard ! Encore une pompe étroite, teigneuse. changeante. Une montée pénible à + 1 m/s maximum. Mais nous arrivons sous la zone nuageuse qui borde la Chartreuse jusqu'à la Sure.

A partir de là, c'est le miracle. ça donne plein pot. Il suffit de suivre l'autoroute. Finis les chemins forestiers. Inutile d'aller sur la Sure. Cap sur le Grand Ratz en marsouinant à 1500m. Au Grand Ratz, encore des nuages. On fait le plein pour passer la cluse de Voreppe. La remontée sur Montaud et le Bec de l'Orient est presque une formalité. Tout change, l'instabilité s'homogénéise, le vent forcit un peu, ça va plus vite plus facilement. Le parcours du combattant s'humanise et le bassin de Royans est vite en vue. Allons-nous buter sur cet obstacle classique ? Au moment où JC tente la traversée en direction de l'épaulement qui vient mourir dans l'Isère après St Nazaire en Royans, je vois le nuage se former à l'avant gauche de la ville. Peu après, un planeur enroule sans vergogne. Je fonce vers le salut et suis récompensé par un super vario (j'avais oublié ce que c'était) et par le plafond maxi de ce vol : pensez donc, un "géant" 1900m. Je sais alors que si je trouve encore un ou deux thermiques du coté de la Beaume d'Hostun, j'ai une petite chance de me poser dans la vallée de la Drôme. Idée sympathique en soi, mais ça fera la 3eme fois, j'aimerai pousser le bouchon un peu plus loin. Je prend conscience que je suis assez vaniteux. Et surtout devant moi, le bleu total et intense, plus un nuage. Ça va être au bluff. Seul point positif le vent qui devient fort (au moins 50km/h à 1200m). Ça devient la victoire de l'horizontal sur le vertical. Et ça peut devenir un sérieux handicap pour se poser. De toute façon, au dessus de la crête principale du Sud Vercors, ça descend, encore et encore. Hervé vient de se poser dans un immense chaume de blé (Bravo Hervé pour ton premier 100 bornes). Je dois prendre une décision car je suis à 1000 m. La logique sécuritaire veut que je me dirige de plus en plus vers la plaine pour m'éloigner de la zone très tourmentée en dessous de moi. Je tente le banco. Je fonce vers le col de Tourniol où commence une zone de plateaux d'altitude. Je préfère ne pas regarder en dessous. Mais ça marche, un gros bleu très musclé me prend sans prévenir. Je le visse, il essaye de me jeter, il est découpé en rondelles et couché par un bon mistral. Je m'accroche, je suis fatigué, j'ai mal aux mains, mais je suis devenu hyper-motivé. Je fais au moins 10 bornes en horizontal au sommet de mon thermique à environ 1300m. Je vois le donjon de Crest et fonce vers la forêt de Saou. Je sais que j'ai ma chance. Je reprend deux bons thermiques dans les mêmes conditions: montée "baston" puis dérive tranquille à toute allure. Je passe les collines au Sud de Crest (voir article suivant). Tout est clair devant moi, je vois le Ventoux, le chemin est tout tracé. J'oublie une seule chose: ma montre indique 19h 15. Les thermiques faiblissent, de toute évidence, ils ne me permettront pas de passer la prochaine zone de collines qui ont l'air assez inhospitalières. Je vais au bout de la plaine qui est sous moi et me pose en sécurité à La Bégude de Mazenc. Je suis épuisé, je mets 1/4 d'heure à me détacher tellement le vent est fort. Je suis heureux, un vieux rêve est devenu réalité. Des prunes pendent aux branches pas loin de moi. Je m'empiffre sous l'œil approbateur du paysan.

Bilan du vol:

- 145 km en distance.
- 4h30 en temps.
- 1500m de moyenne pour les plafonds.
- grosse perte de temps dans le 1er tiers du vol.

Leçons à tirer:

- Ne jamais se décourager, cultiver autant que faire se peut la pugnacité. C'est la motivation qui fait la différence.
- Les plafonds bas ralentissent la progression, mais ne s'opposent pas toujours au vol de distance.
- Après les Royans, bien apprécier la vitesse du vent. S'il est fort, surtout au sol, choisir des grands champs pour l'atterro. Dans un vol précédent de ce type en 89, j'ai raté le point d'atterro prévu de plus de 100 m sans savoir pourquoi. S'il y a une natelle suiveuse, le rôle du chauffeur pour apprécier le vent au sol devient fondamental.


Bonne chance à tous.

Claude DESMURGET

Vol Libre Isère n°44 février 1994


Comment faire pour passer la Drome, allez voir par ici ...