Stabilité du matin n'arrête pas le pélerin
Laragne, fin août.
Les pilotes sont dubitatifs devant le bulletin météo de la journée.
Depuis plusieurs jours, une masse d'air stable s'est installée sur la
région n'autorisant que quelques vols en local sans dépasser Sisteron.
Et aujourd'hui, c'est encore pire avec une prévision de 0/8 de cumulus
et une inversion du sol jusqu'à la stratosphère. À tel
point que A. Chauvet ajourne son stage performance et donne congé à
ses stagiaires.
Nous décidons avec Marie et Cécile de monter quand même
au décollage, car si on ne vole pas au mois d'août, ça ne
sera pas mieux en décembre.
Au décollage, le vent est orienté sud, mais trop faible pour
rester en l'air.
Tous les ouvreurs confirment la stabilité en rejoignant l'atterro sud
en quelques minutes.
Nous déplions nos ailes dans un enthousiasme modéré, lorsque
à 14h un cumulus se forme à l'ouest de la montagne de Lure. Le
montage de nos ailes s'accélère surtout que le premier cumulus
est bientôt suivi de toute une famille qui se forme de plus en plus près
de Chabre. Les ailes qui décollent montent maintenant franchement et
nous décidons de partir.
J'aide Cécile et Marie à décoller, non par galanterie,
mais pour être vraiment certain que les conditions sont bonnes.
Je décolle peu de temps après et rencontre tout de suite un thermique
vigoureux qui m'emporte vers des altitudes propices à la contemplation.
Vers 1800m, mon ascension est stoppée par un parapentiste qui vient en
droite ligne vers moi, je fais encore un tour en me disant que si il connaît
un minimum les règles de priorité, il va se détourner.
Quand je reviens en face de lui, je constate qu'il est toujours là, mais
nettement plus près, à tel point que je suis obligé de
sortir les aérofreins et d'inverser vigoureusement mon virage, n'ayant
aucune envie de promiscuité avec ce grossier personnage.
Je lui lance quelques noms d'oiseaux, ainsi que quelques signes explicites et...
je constate que le thermique n'est plus là. Sans affolement, j'élargis
mes tours en pensant retrouver vite quelque chose, mais autour de moi tout le
monde descend nettement. Je préfère quitter la zone pour aller
traquer l'ascendance plus à l'ouest sur la crête. Au niveau de
Barret, je trouve enfin un bon thermique, il était temps car mon vol
n'allait pas tarder à s'abréger.
Cette fois, je ne fais pas de mauvaise rencontre et je monte à 2800m.
À cette altitude confortable, je peux transiter sur Orpierre.
J'arrive très haut et je fais seulement trois tours dans le thermique
de service pour remonter au plafond et je poursuis sur le rocher de Beaumont,
où un gros congestus me promet de belles ascendances.
À Beaumont, je ne trouve pas tout de suite de noyau, je dois me diriger
bien à l'ouest du sommet sous l'énorme base du nuage avant de
localiser un bon thermique très large et très puissant.
À 3100m, la visibilité se réduit nettement et je pars
en direction du Nord.
La suite du vol ne présage rien de vraiment exaltant, la montagne d'Aspres
est complètement dans le bleu et un énorme congesto-nimbus coiffe
le pic de Bure, Durbonas et tout le Dévoluy.
Je décide de passer nettement à l'ouest de Aspres par le col de
Cabre, pour éviter l'orage et aussi pour changer un peu de la route habituelle.
La transition sur Valdrôme ne se passe pas trop bien, je trouve seulement
des résidus de thermique qui me permettent de me maintenir à 2200m.
Je bascule assez bas sur le village de La Beaume et je retrouve Cécile
qui fait des aller-retour sur la petite crête orientée sud-est
en face de Aspres.
Je lui tiens compagnie pendant environ 1/2 heure, quand je vois un beau nuage
qui se forme sur La Beaume, je fonce dessous et trouve rapidement du 3 m/s qui
se transforme en 6m/s. Au même moment, Cécile monte plus au nord
dans un autre thermique tout aussi sympathique.
À 3000m, je pars sur le Jocou, coiffé lui aussi d'un joli nuage.
Je refais rapidement le plafond et je décide de me diriger vers l'Obiou
en transitant sous le bord du Cunimb du pic de Bure. Cécile, plus prudente
fait un net détour en passant par le col de la Croix-haute.
La transition sous la base du nuage est assez inquiétante, pendant près
de 10 km je tire tout à pleine vitesse et je monte lentement vers la
base du nuage. Au moment où j'atteins les barbules, je passe à
travers le bord du nuage et je me retrouve dans le bleu. Les derniers km en
direction de l'Obiou sont une grande dégringolade pendant laquelle mon
vario indique un taux de chute impressionnant.
J'arrive à 1800m dans la combe sud de l'Obiou et ça remonte tout
de suite très correctement.
À 3100m, je suis encore loin de la base des nuages, lorsque le thermique
devient très agité. Je tourne avec un planeur, qui s'écarte
prudemment de moi car je ne contrôle plus rien du tout, je suis plus souvent
sur la tranche que dans des positions normales. Malgré la très
grande transition qui s'annonce vers le nord, je préfère abandonner,
c'est très malsain et surtout je ne comprends pas la violence du thermique.
À ce moment-là, Cécile m'annonce son atterro sur la base
ULM de Mens.
Je continue vers le nord et à mi-chemin sur le lac du Sautet, je rencontre
un thermique, cette fois très convivial qui ne fait pas de manière
pour me remonter à 2m/s.
Sur le piquet de Nantes, je refait 2400m et je poursuis sur l'Alpe du Grand-Serre
où j'assure un plein avant de basculer sur Chamrousse.
Je passe au-dessus de Chamrousse et des parapentes qui tiennent au ras de la
pente dans le dynamique du soir. Je ne m'attarde pas et je pars sur le Grand
Colon.
La face ouest du Grand Colon est encore bien ensoleillée, mais l'activité
est sur le déclin. J'arrive assez bas à environ 1500m, mais mon
espoir de continuer le vol renaît avec un petit thermique teigneux qui
me remonte de 50m. Puis ça commence à descendre, je rate quelques
bulles trop petites et trop près du relief. Je suis en l'air depuis plus
de 4h dans des conditions parfois assez mouvementées et mes bras ont
parfois une inertie inquiétante.
Finalement, je dois m'éloigner à regret vers la vallée.
Je survole Freydière et je plonge sur le Grésivaudan, où
tout est dans l'ombre.
Sur le dernier petit relief avant la vallée, mon vario émet un
timide bip. Je fais un tour pour voir et j'ai la surprise de trouver un +1m/s
inespéré qui me redonne 300m. Puis, j'entame la phase terminale
du vol, direction : l'atterro delta de Lumbin.
Mais que c'est loin, j'aperçois à peine mon but dans les brumes
de la vallée, mon GPS interne m'indique une finesse de 10 pour rejoindre
l'atterro.
Mon aile est complètement étarquée, moi je suis aussi très
tendu, je retiens même mon souffle dans l'espoir d'améliorer l'angle
de plané.
Dans la vallée, la stabilité est totale, l'air est comme du coton,
il n'y a pas un souffle de vent. Le contraste avec les conditions de la journée
est saisissant.
Après un suspens insoutenable, j'arrive au-dessus de l'atterro avec moins
de 50m sol sur une transition de 10km, merci au dernier petit thermique.
En me posant, je reconnais mon copain Jaco qui replie son aile.
Il vient de faire un vol du soir pour le plaisir et me demande quel bon vent
m'amène. Après quelques sauts périlleux pour exprimer ma
joie, je lui annonce que je viens de réaliser un des plus beaux vols
de ma carrière et qui ne peut certainement pas se résumer en ces
quelques chiffres :
Laragne-Lumbin, 115 km en 5h.
Je remercie Marie d'avoir écourter son vol pour venir me chercher à
St-Hil.
Ycar
Auteur : Yves Caratini
Vol Libre Isère n°56 septembre 1997 |