Tumbling à Aujour

Michel Charpentier a vécu un tumbling au dessus de la montagne d'Aujour et à survécu.

Conditions estivales, Alpes du sud : les conditions sont réunies pour des ascendences fortes et des vols chahutés.

 

Voici son récit.


Tiens, un pod. Posé comme une fleur !

 

Game over !

La vague n'est pas là, à la place, du vide ! Ce que j'ai vu passer là-bas dessous, c'est le nez de mon aile. Je tombe dedans, je ne sais absolument pas à quel moment la barre de contrôle que je tenais fermement a quitté mes mains. Je sens la toile dans mon dos. Faut-il lancer le parachute maintenant ?
Même pas le temps de formuler clairement cette question, l'aile est partie en auto-rotation, c'est une véritable centrifugeuse.
Je mémoriserai un rythme supérieur à 2 rotations par seconde. Mes pieds sont à l'extérieur du cercle, ma tête, vers l'intérieur, aperçoit vaguement des tâches de couleurs diamétralement opposées, loin devant, ce sont les manchons sur la barre de contrôle. Les bras sont le long du corps.
Pour lancer le parachute, il faut déplacer le bras droit vers la poignée à gauche, il pèse une tonne ce bras !
J'ai clairement eu cette pensée : « C'est foutu, le sol n'est pas loin, après tout, 68 ans, c'est pas mal pour finir sa vie. ».
Je ne sais pas où j'ai trouvé l'énergie, mais je mets enfin la main sur la poignée. Là, je connais, c'est comme à l'entraînement !
Il faut tirer à fond pour sortir le pépin de son logement puis lancer vers la cible !!!!
Tirer très fort ok, ça marche, mais pour cibler, pas le temps. Le parachute disparaît, centrifugé lui aussi.
De toutes façons, je ne sais pas trop où est le haut, où est le bas, où sont les câbles, où est le reste de l'aile.
Et alors ?? Rien, ça tourne toujours aussi vite !
Deuxième réflexion : « Cette fois c'est vraiment foutu, le sol doit être tout près ! ».
Puis, dans le même espace temps, l’apaisement, plus de rotation, une fraction de ciel..... et les feuilles, les branches défilent autour de moi.
Cette descente dans les arbres me semble durer une éternité, sans doute 3 secondes.
Un choc à la tête (j'en ai eu de pire)... c'est fini, le grand calme.

Je ne vois pas grand chose, l'odeur du sous bois, le chant du vent dans les feuilles, pas de douleur, pas de sang qui coule.

Je remue la tête un peu pour m'apercevoir qu'elle est enfoncée dans un tas de feuilles mortes, la visière est encore fermée, je ne sens pas de blessure.

Tourne un peu à gauche doucement, ok, à droite ok. devant ok. Le sous bois est bien sympathique avec ces grands feuillus. Le trapèze est à coté de moi.

Je cherche mes doigts, j'en trouve quelques uns, ils bougent à chaque sollicitation, le bras concerné aussi.
L'autre bras ? Trouvé, les doigts aussi, tout est ok.
Les jambes ? Coincées dans le harnais enfoncé dans les feuilles.

Chercher la cordelette, j'en trouve une, je tire dessus, mais il est difficile de sortir les jambes avant le deuxième essai. Finalement, je me trouve à 4 pattes.

 

 

 

 

L'aile gauche est cassée. Les suspentes du parachute passent par devant le bord d'attaque de celle-ci.


Je passe un message radio, sachant bien que personne ne risque de l'entendre. J'ai quand même essayé !
Puis je sors du harnais, avec précautions, j'ai un doute sur l'état de ma vieille carcasse.
Je regarde autour de moi. Les arbres, les feuilles, le soleil qui s'infiltre à travers les branches, c'est beau, je suis vivant et j'éclate de rire !
Le rire coupe court suite à un problème mécanique. C'est donc là qu'il y a un défaut, il doit y avoir quelque-chose au niveau des côtes ou du sternum ou du dos, en fait dans l’espace situé entre le nombril, la tête et les épaules !
Je me mets debout et contrôle ma mobilité avec prudence, tout bouge mais effectivement, l'amplitude respiratoire est bloquée. On va faire avec.
Le téléphone est assez facilement accessible sur la poche de coté du harnais, sage précaution car je n'ose pas exécuter certains mouvements. Je laisse un message à BCP et à Aymeric. La pente du terrain est bien marquée et je ne me sens pas de glisser sur les feuilles mortes, je resterai donc sur place.
Je fais avec précautions le demi-tour de la machine, l'aile gauche est brisée, la droite semble entière.
Puis, je m'allonge sur le dos dans les feuilles. C'est confortable mais quand je veux m'asseoir, j'ai l'impression de subir un tremblement de terre dans la poitrine, accompagné d'un clac, clac, clac impressionnant. Une vague (encore une) de douleurs me déchire devant, entre les épaules.
Un toubib, m’expliquera le lendemain, que l’ensemble des éléments du thorax avait sans doute cherché à retrouver sa place d’origine avec plus ou moins de succès semble-t-il. Cela sera vérifié par la suite, concrétisé par des douleurs à intensité et localisation variables (surtout la nuit).

sangle du parachute enroulée autour du delta après un tumbling
Ballet rose : la sangle du parachute part du mousqueton (caché),contourne le montant gauche, puis le câble latéral gauche détendu et le câble avant gauche du trapèze, puis les avant et arrières droit de trapèze en caressant le montant (où est le câble latéral ?), revient croiser la sangle d'accroche du harnais et va vers le bord d'attaque de l'aile gauche cassée.
On s'attendrait à des montants en huit, en V ou en W. Nenni !
Outre l'effet seyant des moufles, elles permettent au pilote de garder toute l'agilité nécessaire pour tripoter le vario ou attraper la poignée du parachute.

Là, regardez, le noeud !!!


Comment voulez-vous arriver à voler correctement dans ces conditions ?


sangle du parachute enroulée autour du delta après un tumbling

Je passerai rapidement sur les épisodes suivants. Un grand merci à Aymeric, BCP et Vanessa, très présents au téléphone, à la radio. Aymeric se lance dans une longue et harassante recherche à pieds le long d’un GR localisé à proximité de mon point de chute. Le sifflet que j’activais régulièrement ne lui a pas évité de faire comme la chanson « vous qui passez sans me voir ».
Le PGHM appelé en renfort aura bien des difficultés à me localiser aussi malgré les coordonnées GPS, et mon guidage radio. Les arbres cachaient ma présence et rien n’était visible pour l’hélicoptère en vol stationnaire au même niveau, 50m devant moi.
Bon, après hélitreuillage, puis passage dans un champ pour saluer les gendarmes et un médecin, une nouvelle transition héliportée au dessus des crêtes, je fus pris en charge par l’hôpital de Gap vers 21h. Je n'étais pas tout seul, les urgences étaient saturées.
J'en sortirai moins de 24h après, avec une minerve légère (7ème cervicale cassée au niveau de l'apophyse, donc pas grave) et des antidouleurs. Il n'y avait pas de fracture visible au niveau du thorax !!!

Alors, comment en suis-je arrivé là ?

Montagne d'Aujour
Un petit coup de Géoportail 3D pour situer le cirque où notre ami à réalisé sa prestation.
     Clap ! Clap ! Clap ! fait la foule en délire, qui demande une deuxième représentation ...

Mercredi 8 Août, Nord Ouest sur Laragnes, avec près de 3500m de plafond sur Chabre, je cible le Pic de Bure par St Genis et Aujour. Arrivé sur Aujour dans une zone sous le vent, le climat bien malsain, me pousse à renoncer rapidement et je vais me poser « finger in the nose » malgré les turbulences, dans un grand champ au Sud de Savournon.

Jeudi 9 Août, Nord Ouest sur Laragnes, plafond 3200m, je décide bêtement de garder le même objectif mais en passant par le Rocher de Beaumont. 2600m dans un thermique pas très sympa sur Beaumont, je cible Arambre et les falaises Nord de Aujour. Mon point d’aboutissement ne sera pas aujourd’hui sous le vent.
En approche des falaises, sur les ravines, mon vario-gps s’éteint, pourtant le 2ème pack de batterie est neuf !
Quelques instants de distraction perdus à essayer de le relancer et je me trouve dans une zone où « ça bouge ». J’oublie le vario.
Ce n’est pas turbulent, mais puissant, plus j’avance sur l’épaulement, plus ça monte fort. C’est une énorme vague que je surfe, comme un ascenseur très rapide à accélération progressive, pas d'à-coup, juste cette impression de puissance.
Je n’ai jamais rencontré quelque-chose d’aussi fort. Au sommet de la vague, je tourne dans un ascendant léger (le dos de la vague), pour me présenter à nouveau dans le front de vague, et là … comme un bouchon de champagne, je passe au dessus de la crête, je prolonge cette phase montante et, peut-être la première ERREUR, décide d’y retourner encore une fois avant de quitter les lieux.
J’assure un solide maintien de la barre de contrôle et retourne tranquillement vers la vague sans intégrer le temps de prolongation 2ème ERREUR, la plus grave………Game Over !

carte montagne d'Aujour



Des chiffres :

J'ai essayé de décomposer mes souvenirs et les éléments dont je dispose, mais je n'arrive pas à un décompte cohérent. Impossible d'évaluer les vitesses de chute pendant le tumbling, en rotation, parachute ouvert ni dans les arbres.

J'estime que le tumbling a eu lieu vers 1540m, le point de chute mesuré à 1440m, la durée entre ces 2 positions à 10 secondes (et peut-être moins).

Hypothèse :

J'ai prolongé la deuxième montée mais n'ai pas intégré ce temps dans le retour, je me suis donc positionné le dos à la vague qui n'a pas râté une pareille occasion de rigoler avec cet imprudent personnage.
J'ai donc été retourné comme une crêpe par l'arrivée du front de vague dans mon dos ou par le déferlement de la crête.
Cette comparaison avec une vague dont la crête part d'un arrondi de plus en plus marqué pour finir en déferlante me convient beaucoup.

ascendance monstrueuse à Aujour provoquant un tumbling

Remarques :

  •  Le pilote de l'hélicoptère a précisé avoir compris quelle aérologie j'avais rencontré pour l'avoir croisée dans sa recherche.
  •  Pour la petite histoire : remarques ultérieures, derrière mon point d'impact, la quille était en appui sur un gros rocher ! devant, à 1m50 de ma tête, la pointe acérée d’un arbre déchiqueté,,,,,,,,,,,,,,ce n'était pas mon heure !
  •  Remerciements encore, tout d’abord à Aymeric, Bcp et Vanessa pour les premiers secours, puis à Yves, Miguel et Dominique qui sont venus avec Aymeric, récupérer le matériel le lendemain, et bien entendu, à l'ensemble des intervenants pompiers, gendarmes et PGHM.
  •  Un merci particulier à Bernard qui est venu non seulement me récupérer à Gap mais ensuite est venu « « partager » les douleurs à Bellegarde en Diois.

Conclusions :

Je comprends les surfeurs qui sont prêts à tout pour être sur la grande vague! Sincèrement, j'ai déjà eu envie d'y retourner.

L'entraînement régulier au lancé de parachute a, pour moi, fait ses preuves.
L'entretien de ce parachute en fait partie et est indispensable, même si, jusque là, cela n'arrive qu'aux autres !

Autre remarque d'importance, personne n'a assisté à l'incident. Au sol, j'étais invisible, caché par les arbres. J'aurais sans doute pu le faire, mais je n'étais pas vraiment en état de me déplacer sur ces pentes assez raides.
Merci à mon téléphone, qui m'a permis d'appeller les copains et d'envoyer ma position.
J'avais aussi une 2ème radio qui a pris le relais pour guider l'hélico, quand la première s'est trouvée batterie vide.

Je m'accuse surtout de la deuxième erreur. Il m'a fallut longtemps pour la mettre en évidence dans mes réflexions et mes souvenirs, presque un mois !

Il n'empêche que, je savais que j'avais à faire à très forte partie, mais je me sentais bien et maitre de la situation jusqu'à ce que.....paf !, dégage minus !!

Il a fallu près de 10 jours pour que mes yeux de lapin atteint de myxomatose (merci la centrifugation) perdent leur couleur rouge intense. Si la vertèbre est ressoudée, mon thorax, presque 2 mois après, n'est pas encore bien rangé, mais il s'améliore lentement, merci à ma kiné préférée.

Vol de Vianney Tisseau au dessus d'Aujour
En juin 2011, Vianney Tisseau survolait
la même croupe boisée.

Si tu es arrivé au bout de ce récit, sache que j'admets toute remarque ou commentaire visant à donner une interprétation différente de la mienne.
J'ai passé des nuits a essayer de reconstituer le puzzle, je suis arrivé à une version qui s'accorde à mes souvenirs, j'attends avec impatience, les remarques de ceux (ou celle !) qui ont déjà vécu ce genre d'aventure.

Michel Charpentier
charpmic@cegetel.net


Récupération d'une aile irrécupérable ... et renversée par le souffle de l'hélicoptère.

 

Commentaire de Fred Pignet du 10 octobre 2012 :
"A première vue.... sous le vent d'une forte ascendance et zone de cisaillement due à de gros thermiques en face sud sur cette crête que je connais très bien ..."

Mise en ligne : 9 octobre 2012
Photos : Michel Charpentier, Aymeric Bruno pour la "récup" de l'aile
Mise en page et commentaires sarcastiques : F-D. M.